Type d’étude
Il s’agit d’un essai clinique randomisé multicentrique cherchant à comparer la vidéo-laryngoscopie (VL) à la laryngoscopie directe (LD) pour l’intubation trachéale des patients de soins intensifs.
L’étude a porté sur 7 centres en France et a recruté 371 patients nécessitant une intubation oro-trachéale en urgence.
Tous les patients recevaient les mêmes actions avant l’intubation en ce qui concernait la préoxygénation, l’anesthésie générale et la curarisation, l’utilisation après randomisation soit d’une lame standard Macintosh soit d’un vidéo laryngoscope McGrath MAC Medtronic.
La bonne position du tube était confirmée par l’obtention d’au moins 4 courbes de capnographie.
Outcome primaire
L’outcome primaire était le succès de l’intubation oro-trachéale au premier essai.
Résultats de l’étude
Les analyses en intention de traiter et celles per-protocole ne montraient pas de différence significative entre la VL et la LD pour le nombre d’intubation réussi au premier essai (67.7% vs 70.3%; p = 0.6).
Le temps médian pour intuber ne différait pas dans les deux populations et était de 3 minutes dans chaque groupe.
Le taux de survenue de complications aiguës graves (hypoxémie sévère, arrêt cardiaque) était plus important dans le groupe VL (9.5% vs 2.8%; p = 0.01), bien que ce soit une analyse per-protocole.
Analyse de l’étude
Il s’agit d’une étude bien menée et généralisable aux patients nécessitant une intubation trachéale en urgence (aux soins intensifs, aux urgences, en pré-hospitalier).
Dans plus de 80% des cas, les patients étaient intubés dès le premier essai.
L’utilisation d’un protocole défini et clair avant toute laryngoscopie permet de rendre les groupes comparables par la suite.
L’utilisation plus fréquente dans cette étude d’un mandrin souple type mandrin d’Eschmann ou “Cook bleu” plutôt qu’un stylet rigide à l’intérieur du tube reflète une attitude “française” de faire. Ceci appuyé par le fait que le fabricant du vidéo laryngoscope utilisé dans l’étude ne recommande pas l’utilisation de ce type de stylet rigide.
Cette manière de faire peut ainsi venir perturber les résultats de la présente étude.
En ce qui concerne les complications aiguës graves, l’analyse per-protocole est une réelle source d’erreur statistique et à défaut de permettre de conclure réellement permet d’attirer l’attention sur le fait que la VL n’est pas la solution miracle pour le patient aigu de soins intensifs “tout venant”.
Ce qui est intéressant dans cette étude
Lascarrou permet de montrer qu’une meilleure visualisation du larynx ne facilite pas pour autant l’intubation.
Pourquoi?
Parce que la VL créée deux types d’angle mort : un visuel et l’autre cognitif.
Angle mort visuel
Avec la VL, l’oropharynx et l’hypopharynx ne sont pas visualisés.
Ainsi, manipuler la sonde d’intubation dans ces mêmes oro et hypopharynx peut devenir difficile pour de multiples raisons, notamment si l’anatomie du patient est particulière.
Ceci peut conduire à des lésions tissulaires non négligeables du pharynx et à des temps d’intubation plus longs que lorsque c’est la LD qui est utilisée.
Angle mort cognitif
Le fait de voir la glotte surtout chez un patient aigu malade est, de fait, rassurant. Ainsi, l’intubateur peut prendre plus de temps que prévu avant d’envisager et de déclarer l’intubation difficile parce qu’il voit la glotte.
Il prendra alors plus de temps pour réoxygéner le patient ou de mettre en oeuvre l’algorithme d’intubation difficile pouvant faire envisager l’utilisation d’un mandrin souple, d’un masque laryngé ou même d’un abord chirurgical.
Cet angle mort cognitif peut apporter une explication au taux plus important de survenue de complications aiguës graves dans le bras VL, bien que comme nous l’avons vu dans cette étude, les erreurs statistiques sont plus que probables.
Conclusion
Cette étude vient donc renforcer l’idée que l’utilisation “en routine” de la VL n’est certainement pas une bonne attitude.
Au delà de l’absence de plus value évidente, voire des risques de complications supérieures, elle risque de faire perdre l’acquisition d’une expertise nécessaire en médecine aiguë de la LD.
Le fait que l’étude pointe de manière aussi directe les angles mort que peut faire apparaître la VL la rend extrêmement intéressante.
Notre expérience chez BLOCKCHOC
Nous n’avons pas en pratique courante aux soins intensifs de vidéo laryngoscopes là où nous travaillons.
Nous allons en acquérir un bientôt et ce sera le CMAC de chez Storz.
Pour l’avoir eu à l’essai et utilisé pour de multiples intubations pas nécessairement étiquetées difficiles, sa prise en main est facile.
Mais fort de la lecture de cet article, nous avons pu expérimentés à plusieurs reprises les deux “fameux” angles mort décrits dans l’étude de Lascarrou, tant visuel que cognitif.
Le fait que tout le monde puisse voir ce que voit l’opérateur peut également entraîner une distraction de ce dernier. C’est commun avec tous les vidéo laryngoscopes mais lorsque vous avez à faire à une intubation compliquée et complexe pour ne pas dire tout de suite difficile et que chaque personne présente autour de vous y va de son petit conseil, les choses ne s’améliorent généralement pas.
Il nous semble essentiel, comme pour la LD d’apprendre d’abord à bien maîtriser la VL dans un contexte d’intubation que l’on ne rencontre pas aux soins intensifs à savoir avec des patients stables, pouvant supporter l’apnée. Ce n’est qu’à ce seul prix que l’on peut, par la suite, faire face aux situations d’intubation difficile aux soins intensifs avec un VL.
Croire que la VL rendra facile une intubation prévisiblement difficile nous semble dangereux quand il n’y a pas, encore une fois, une maîtrise certaine de l’outils que l’on utilise.
C’est parfois dans les vieux pots que l’on fait la meilleure soupe…